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Histoire

C’est avec une rencontre, un papier et deux signatures que ma « deuxième vie » a commencé.

Je suis né dans les rues brésiliennes, livré à moi-même dès mes premières années de vie. Je n’ai jamais connu mes parents ni ma famille génitrice, c’est la favela qui représentait tout ce que j’avais : ma maison, ma famille, mes amis considérés comme mes frères et mes sœurs. J’ai baigné pendant les 4 premières années de ma vie dans l’exclusion sociale, la précarité extrême et la pauvreté. Autant de facteurs qui ont impactés ma vie et ont fait disparaître certains de mes frères et sœurs. Le pire dans tout ça était les violences qu’il y avait dans les rues à cause des gangs, des trafics illégaux et de la prostitution : quand on vit dans les favelas, il n’y a pas d’autres voies possibles pour gagner quelques réal brésilien et survivre. J’ai eu la chance de m’en sortir jeune grâce à l’orphelinat qui m’a accueilli à mes 4 ans, mais je n’étais déjà plus un enfant innocent… et avait vécu bien plus qu’un enfant de mon âge.

L’orphelinat « Casa da Criança e do Adolescente » a été pour moi un changement radical. J’ai pu recevoir les débuts d’une éducation, de pouvoir manger à ma faim et de dormir confortablement. Des choses simples et banales pour la plupart des humains de ce monde, mais pour moi c’était une nouvelle vie qui débutait. En parlant de nouvelle vie, c’est dans cet établissement que j’ai rencontré mes parents pour la première fois.

Ma première rencontre avec mes parents a été déroutante : de voir cette femme si belle, si douce accompagnée d’un homme en costume trois pièces portant une montre si brillante que j’étais captivé par cette dernière. Ces personnes étaient venu me voir pour passer du temps avec moi et à ce moment-là je ne comprenais pas que mon futur aller changer du tout au tout. J’ai été adopté le 27 septembre 1996 par une famille de chirurgien allemand, aux antipodes de mon Brésil natale et des coutumes locales.

Les premières années ont été très difficiles pour moi, l’adaptation dans un pays que je ne connaissais pas avec une langue et une façon de vivre inconnue était un vrai challenge. J’étais un garçon turbulent, hyperactif, fugueur n’ayant jamais eu de cadres stricts pour mon éducation. Pourtant ma nouvelle famille ne m’a jamais abandonné et m’a donné toutes les cartes pour m’en sortir, pour faire de ma vie un rêve. En parlant de ma famille, il n’y avait pas que ma mère et mon père, il y avait aussi Niklas, mon frère. Un grand frère, qui ne partageait pas du tout ma façon de voir et de vivre, pas comme mes frères des favelas...Un frère que je ne connaissais pas et qui ne comprenais pas, un point de rupture qui m’a beaucoup impacté. Mon seul refuge était l’extérieur, la nature et le grand air où je pouvais l’espace d’un instant me sentir libre de cette vie si strict, si étouffante même si on m’aidait énormément à m’intégrer. C’est d’ailleurs un jour où j'ai voulu me réfugier seul, que je me suis caché dans une cabane au fond du jardin, jouant avec des petits cailloux comme je le faisait par le passé. Une idée qui me semblait bonne, mais aux yeux de ma famille il en était tout autrement puisqu’il ont passé une partie de la journée à me chercher, affolé par ma disparition. C’est au bout de quelques heures que Niklas m’a retrouvé, lui qui d’habitude m’ignorait, m’avait souri sincèrement pour la première fois.

Passé cette adolescence difficile et les questions quant à mon identité, j’ai pris conscience de la chance énorme que j’avais de recevoir une éducation élitiste et de suivre un train de vie comme le miens. Je n’étais pas le meilleur à l’école, loin derrière l’excellence et l’attitude irréprochable de mon frère, mais je faisais de mon mieux. Le départ de Niklas à Munich pour suivre son cursus vétérinaire n’a pas été facile, même s’il revenait de temps en temps nous voir. Je ne lui ai jamais dit ni fait comprendre à quel point je tenais à lui, qu’il a toujours été un modèle, réussissant avec brio tout ce qu’il entreprenait. Jusqu’au jour de l’accident…

Un accident qui nous a tous plongé dans un profond traumatisme, je n’avais alors jamais ressentit ce sentiment de peur : la peur de perdre celui qui était mon grand frère. Trois longs mois où toutes les pensées les plus noires me sont passés par la tête, lorsque je suis resté au chevet de mon frère. Un quotidien difficile pour toute la famille. C’est à partir de ce moment que j’ai eu le déclic, le déclic que le petit adolescent caractériel, agité, ne rapportant que des ennuis à ses parents ne devait plus persister. Je ne devais plus me rebeller contre cette vie certes très strict mais qui m’offrait tous les parcours de vie possible. Je devais prendre mon avenir en main, profiter de ma vie et de ma famille. Je n’avais que 15 ans mais j’avais une destinée, une envie de carrière : devenir vétérinaire.

A travers ce métier, c’est pour moi l’occasion d’aider les autres, de sauver comme on m’a sauvé par le passé. J’aurais pu me destiner à la médecine comme mes parents, mais ma volonté était tout autre. Je me souviens dans les favelas quand je trainais la journée, j’étais toujours accompagné par les chiens errants du bidonville, aussi maigre et sales que moi. Nous partagions le même quotidien dans la faim et la pauvreté alors quand j’avais une petite galette de blé, je prenais le quart et leur donnait le reste. Nous étions frères. C’est de là qu’est né ma passion pour ce métier. Je veux sauver. Je veux sauver mes frères de cœur. Je veux sauver les animaux. Et encore plus les oubliés, les laisser pour contre, les malades, les handicapés, car ils sont pour moi l’essence même d’un sauvetage comme j’ai pu être sauvé du quotidien noir et funeste qui m’attendait à São Paulo.

Maintenant je travaille dur pour réussir mon cursus vétérinaire. D’ailleurs, c’est seulement durant mes études que j’ai pu rencontrer pour la première fois un cheval. Un être majestueux, doué d’émotions et extrêmement sensible. C’est pourquoi j’ai décidé très tôt dans mes années d’étude de me spécialiser vers l’élevage et les pathologie des équidés. Cette voie a été une révélation pour moi et c’est seulement à partir de ce moment que je me suis réellement épanoui dans ma nouvelle vie. J’excellait même dans ma spécialité, prenant une formation supplémentaire sur les suivis de gestations simples ou complexes ainsi que les pathologies à risques chez les poulains. Je me suis passionné pour ce monde, pour cet univers de procréation, de création et de naissance, surtout pour ceux qui dès le départ partent avec des handicaps.

Je ne remercierai jamais assez mes parents adoptifs et mon frère qui malgré mon caractère difficile les premières années ne m’ont jamais lâché et se sont battues pour me sauver de mon avenir incertain au Brésil. Je leur suis éternellement reconnaissant pour tout ce qu’ils ont fait pour moi.

Je suis Filipe Hartmann et je fais de mes rêves une réalité.