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Histoire

Ma mère est polonaise, une pure souche comme elle aime si bien le dire. Elle aime son pays et malgré tout elle a dû le quitter, parce qu'il était plus facile pour elle de venir en Amérique pour m’élever selon elle. Avait-il une autre raison ? Elle m'a appris sa langue, ses recettes, mais très peu sur ma famille du côté maternelle. Je sais juste que le choix de ma mère de me garder est la raison du rejet de sa famille. Quant à mon père, je sais juste qu'il est responsable de mon métissage, de mes traits asiatiques… En somme, je ne sais rien de lui.

FILLE - Toujours le nez dans ce livre… Mais tu ne le connais pas par cœur ?

Elle releva la tête en direction d'une jeune fille à l'allure assez frêle qui venait d'entrer dans la salle de repos. C'était une stagiaire comme elle qui était arrivée un mois après elle dans la clinique vétérinaire, mais son prénom lui échappait toujours. Trop discrète et timide, elle n'osait pas imposer sa présence et ses idées.

YENNEFER - Je doute qu'un jour je puisse me lasser de ce livre. Cela m'aide à me vider la tête.

Yennefer se redressa complètement du canapé en lui lançant un sourire, voyant que l'élan de courage de la jeune fille commençait à s’essouffler, elle poursuivit ses paroles en lui indiquant de s’asseoir à côté d'elle.

YENNEFER - Cet amour pour cette saga vient de ma mère. C'est un écrivain polonais qui a écrit ses livres, il est bien plus connu là-bas que dans le reste du monde. Mon prénom vient d'un personnage du roman.
FILLE - Je me demandais l'autre jour de quelle origine cela pouvait être… Marmonna-t-elle presque gênée.

Un rire s’échappa de ses lippes, nullement moqueur, mais chaleureux.  

YENNEFER - C'est une question qu'on me pose souvent, à vrai dire je ne sais même pas s'il n'a pas été totalement inventé.
FILLE - Pourquoi t'a-t-elle donné ce prénom ?

Yennefer lui jeta un bref regard, appréciant de la voir enfin oser poser ses questions, pas par narcissique, mais de la légère confiance en soi et décontraction qu'elle pouvait lire dans l'iris de ses yeux.

YENNEFER - Ma mère avait seize ans quand elle est tombée enceinte de moi. Aujourd'hui encore elle a tendance à dire qu'elle était encore une gamine à cet âge-là. Et qu'elle a réagi comme une gamine en donnant à sa fille le prénom d'un personnage qu'elle aimait bien.
FILLE - Tu n'aimes pas ton prénom ?

Ses doigts caressaient la couverture du livre où se trouvait l'illustration d'une femme à la chevelure sombre et au regard violacé. Avait-elle déjà eu envie de changer de prénom lors de sa jeunesse ? Sa vie aurait-elle été différente avec un autre prénom dit plus traditionnel ? Elle ne s'était jamais réellement posé la question, elle était elle-même qu'importe son prénom gravé dans ses papiers.

YENNEFER - Il est devenu le mien. Et toi quel est le tien ?


Ma mère, la femme que j'admire le plus au monde et que j'admirerai même après sa disparition. Elle n'est pas parfaite, elle a fait beaucoup d'erreurs dans sa vie, dans mon éducation et dans ses choix. Mais moi-même, je suis loin d'être parfaite. Elle a toujours cherché à m'offrir le meilleur dans la vie, et cela malgré ses très faibles revenus. Cela n'a pas été facile pour elle de quitter son adolescence, de dire au revoir à sa jeunesse pour se concentrer dans son rôle de mère. Elle ne s'était pas préparée à ça, ni à se retrouver totalement seule. Je n'ai pas toujours été une enfant sage, d'un caractère aussi fort que le sien, les conflits ont de temps en temps éclaté entre nous. Je ne peux rien lui reprocher, sauf peut-être d'avoir par moment oublié de penser à elle.


HOMME - Vous êtes sûr de vouloir l'acheter ?

Son regard se braqua sur l'homme corpulent qui se grattait la barbe d'un air embarrassé. Elle jugeait très rarement les gens sur leur apparence, leur caractère et idéologie. Mais elle ressentait un profond dégoût pour l'allure qu'il dégageait, il puait l’hypocrite et l’égoïsme à plein nez. Sa mère avait tendance à dire qu'on pouvait connaître une personne à la manière dont il traite ses animaux. Elle reposa son attention sur le poney, il n'était pas craintif, mais il avait clairement été négligé depuis quelques années.  

YENNEFER - Vous pouvez me le donner si réellement vous le souhaitez.

Il fronça les sourcils, signe qu'il ne s'attendait pas à une telle réponse et que celle-ci ne lui convenait pas. Elle savait qu'il voulait gagner de l'argent dans cette vente, même si le prix était dérisoire. Le prix qu'il aurait pu en tirer pour sa viande une fois qu'il l'aurait un peu remplumé. Il était gérant d'une écurie de propriétaire, elle avait assez pu affaire à lui en temps normal, venant juste pour s'occuper de deux chevaux d'une propriétaire. Elle exerce l'acupuncture Équine, ainsi que le shiatsu, bien que ses diplômes ne sont pas encore totalement reconnue dans le monde.

HOMME - Je n'accepte que le liquide… dans sa totalité.

Elle lui lança un sourire mauvais, bientôt elle ne le reverrait probablement jamais et elle comptait bien lui faire comprendre à sa manière ce qu'elle pense de lui à cet instant. Elle glissa une main dans son manteau, sortant plusieurs liasses de billets. Cela représentait une grosse somme pour elle, alors que pour d'autres cela équivaut à de l'argent de poche.

YENNEFER - Le prix qu'on avait convenu !

L'homme s'empressa de prendre les billets, les comptant soigneusement comme un petit rat. Elle avait presque l'impression qu'il jubilait de plaisir, se moquant bien de l'état général du poney.

HOMME - Je vais chercher ses papiers.


L'argent… source de pouvoir, de convoitise. Ma mère n'a jamais roulé sur l'or, les fins de mois ont toujours été difficiles. Je ne compte plus le nombre d'heures supplémentaires qu'elle devait faire pour arriver à payer les factures, ni même le travail qu'elle a dû accepter de faire, mettant de côté sa propre fierté. Et malgré ça, elle gardait le sourire, son bonheur humeur et sa joie de vivre. Je me souviens de nos disputes à propos de ce sujet. À l'époque, je ne comprendrais pas comment elle pouvait accepter sans dépérir. Je n'ai compris qu'en grandissant, quand moi aussi j'ai dû mettre ma fierté de côté et où j'ai accepté du travail illégal. L'argent ne rend pas forcément heureux les gens, mais il est indispensable pour vivre.


Une assiette vola en éclat dans la cuisine, puis une suivante. Bientôt une grande partie du sol était recouvert de débris en tout genre. La colère passée, elle éclata en sanglots en se laissant tomber par terre, se moquant des bouts de verre qui se plantaient dans ses chairs. Sa tristesse était plus forte que sa douleur physique…

Les minutes et les heures passèrent sans que sa douleur s’atténuât, quand finalement deux bras l'entourèrent avec une infinie tendresse. Une main se perdit dans ses cheveux, les caressant avec amour. Elle ne tarda pas à entendre le murmure réconfortant et apaisant de sa mère. Elle n'avait pas besoin de parler, d'expliquer son geste ni sa tristesse. Elle savait ce qu'il s'était passé, comme à chaque fois, un de plus au compteur. Cette malédiction qui touche les femmes de cette famille, comme sa mère, les hommes avaient tendance à jouer avec ses sentiments et à la tromper à tout va.


Grâce à Jeffrey, j'ai pu prendre contact avec une ostéopathe qui travaille à l'académie. Elle se nomme Myriam, elle a accepté de me prendre comme stagiaire, m'offrant la possibilité en étant boursière de venir faire ma formation d'ostéopathe. Une chance, une nouvelle page qui commence dans ma vie. Une occasion rare que je ne pouvais pas refuser, même si cela veut dire m'éloigner de ma mère, de mes amis. La seule tache d'encre dans l'histoire, je ne parle pas un mot de français.