Annonces

Histoire

Un matin comme les autres pour la jeune femme, un matin de plus coincée entre deux mondes : le sien au Turkménistan, un pays méconnu de tous où règne oppression, pauvreté, trafic en tout genre et celui qui l'attend, celui pour lequel elle a fui son pays laissant sa famille derrière elle.

C'était sous un soleil de plomb qu'elle se dirigeait vers la seule personne qui avait accepté de lui adresser la parole, de l'écouter sans avoir pitié d'elle. Jus de fruit frais à la main, sac hors de prix dans l'autre, lunette visée sur le nez, marche assurée et regard haut, à première vue elle avait tout d'une occidentale et non d'une refugiée. Une femme attirante à tout point de vue. Un masque qu'elle avait pris soin de se construire au fur et à mesure des semaines après son arrivée, un moyen de survivre dans un environnement inconnu. Surtout dans une ville comme San Francisco au antipode de ses traditions Turkmènes.

Un homme l'attendait non loin de là dans son bureau, debout devant une grande baie vitrée, regard figé sur la ville. Cheveux blanc, chemise blanche, mains dans les poches de son pantalon de costume et un visage usé par le temps et l'expérience. Malgré l'apparence ultra moderne et froide de la pièce, n'ayant que pour décoration un simple bureau, une chaise et un canapé de cuir noir, l'aura puissance de l'homme emplissait le lieu d'un sentiment chaleureux. Il avait aidé Parvina dès son arrivée en ville lorsqu'ils s'étaient croisés dans un café, le regard fuyant et perdu de la jeune femme avait retenu l'attention de l'homme. Depuis ce temps, ils entretenaient une relation amicale et pudique en se donnant rendez-vous quelques fois par mois, un soutien moral qui avait permis à Parvina de tenir le coup si loin de chez elle. Mais maintenant il était temps, temps de reprendre sa vie en main et de faire ce dont elle avait envie. Cette entrevue serait la dernière avant son départ pour sa nouvelle vie.

En entrant dans le bâtiment, elle faisait claquer ses escarpins noirs sur le sol en marbre en se dirigeant vers le bureau où patientait l'homme. Un homme dont elle connaissait uniquement le nom, rien d'autre : Charles, ce qui ne l'empêchait pourtant pas de se livrer à lui.

« - Dis-moi, à ce jour qui es-tu ?

Qui je suis ? Je m’appelle Parvina Rahmonova, je suis née au Turkménistan un jour de l’année 1993. Le berceau du cheval d’or, l’Akhal Téké.

- Peux-tu me parlez de ce jour ?

Je m'efforce de l'oublier. Je ne souhaite pas me rappeler du jour où j'ai tué ma mère en venant au monde. Je ne veux pas me souvenir qu'elle s'est sacrifiée pour moi, pour ma vie. Contre la sienne.

- Alors, parle-moi de ton enfance, tu veux bien ?

Je n'ai pas grand-chose à dire, c'est difficile pour une femme de se construire sans sa mère, heureusement mon père a tout fait pour me rendre heureuse. Certes c'est un acharné du travail, mais il m'a forgé petit à petit et pour ça je le remercie. Il est l'éleveur de l'écurie d'Akhal Téké du président de mon pays, un homme obscur, mais ça je ne préfère pas en parler... C'est tout de même une fierté familiale et une sacré ascension sociale pour nous donc je suppose qu'on doit lui être redevable. Nous avons accueilli tous les plus beaux spécimens de la race, une occasion unique pour moi d'apprendre aux contacts de ces chevaux si rares et d'en faire une passion. Une écurie qui, selon les exigences du dirigeant, sûrement pour asseoir sa position de leader, a construit un établissement enfin plutôt une forteresse grandiose, sécurisé et protégé nuit et jour. Une atmosphère que je ne pouvais clairement plus supporter au fur et à mesure des années.

- Et ton père, comment s’en sort-il ?

Bien, je suppose. Je n’ai plus de contact avec lui depuis que j’ai quitté mon pays, il n’a pas supporté mon départ brutal et ma décision d’intégrer une écurie nomade. Mais selon mon oncle qui travaille avec lui, il mène l’élevage d’Akhal Téké d’une main de maitre et roule sur l’argent… Il ne se rend toujours pas compte qu’il est utilisé tel un petit pion par le président, tout ça pour une histoire de pouvoir…

- Pourquoi ce départ ? Pourquoi partir si brutalement alors que ton père est ta seule famille ?

Je ne pouvais plus vivre dans une démesure, dans une tel luxure alors que la moitié de mon pays vit dans une pauvreté accablante. Je ne pouvais pas vivre avec une pression comme celle que subit mon père dans l'élevage. L'excellence n'était pas un objectif, mais un devoir. Mon père est aveuglé par une passion, une passion que je partage mais que je ne me vois pas mener au Turkménistan. En tout cas, pas tant que cela n'aura pas cessé. Je veux débuter mon élevage dans les pas de mon père, mais dans de bonne condition et j'espère que cette écurie nomade me le permettra.

- Ce départ ne t'affecte pas ?

Mon père est tout pour moi, il est celui qui m'a fait grandir, m'a fait murir et m'a tout appris. Bien sûr je suis affectée. Je me souviens encore quand il m'embrassait dans l'écurie le matin quand je venais l'aider à l'élevage, il me répétait tous les jours « Il faut saluer sa famille le matin et après saluer son cheval. » en me donnant une tape dans le dos avant de partir à ses devoirs. Ces choses me manquent et me manqueront toujours, nous avions une relation particulière et la tradition dans le sang en élevant la race de l'emblème national de notre pays. Mais c'est son choix de ne plus m'adresser la parole. Je vis avec l'espoir qu'un jour il reviendra sur sa décision, qu'il sera fier de moi et de mes projets.

- Es-tu absolument sûr de vouloir commencer cette nouvelle vie ?

Dès demain, je pars. »